Les Journées Cinématographiques de Carthage ont réservé leur lot annuel de découvertes de films exotiques en grande partie soudanais. Le Soudan révolutionnaire des derniers mois accouche de deux longs métrages : la fiction « You Will Die at Twenty » d’Amjad Abu Alala et le documentaire « Talking About Trees » de Suhaib Gasmelbari. Arrêt sur ces deux expériences cinématographiques nouvelles.
L’OVNI cinématographique d’Amjad Abu Alala
Dans un village soudanais, dans les années 60, une mère donne naissance à un garçon : Muzamel. Mais le derviche prédit qu’il mourra à l’âge de 20 ans. Muzamel vit un véritable enfer et grandit entouré de regards de compassion qui le font se sentir mort avant l’heure. Le fantôme du derviche le poursuit sans cesse, jusqu’au jour où Suliman, qui travaillait en ville, rentre au village. Son vieux projecteur de cinéma ouvre pour Muzamel une fenêtre sur le monde. Suliman, dont la tête est pleine d’idées de liberté, de progrès et de rébellion, est rejeté par les autres habitants qui le voient comme un ivrogne qui fréquente les bordels. Au contact de Suliman, la personnalité de Muzamel commence à changer et commence à creuser sa propre tombe. Quand arrive le jour de ses vingt ans, Muzamel est plein de doutes et doit choisir entre la mort, le bordel ou un bus qui peut l’emmener dans le monde qu’il veut tant découvrir.
Le film a raflé le prix de la meilleure fiction au festival El Gouna : son image et sa direction photo font son point fort : les plans et le cadre du film ensorcellent et offrent un dépaysement aux spectateurs. « I Will Die At Twenty » est une percée dans les rites et les traditions tribales et locales au Soudan : croyances, spiritualité, traditions religieuses sont étalées afin de donner des réponses concrètes au rapport espace / temps, à la vie après la mort, au mieux-vivre avant la mort et aux accomplissements de l’individu ici-bas sur terre dès sa naissance jusqu’à sa disparition. Cet être humain sans cesse en quête de soi. Le cinéma n’a pas de frontières et puise sa force d’horizons nouveaux.
Le cinéma engagé de Suhaib Gasmelbari
Ibrahim, Suleiman, Manar et Altayeb, quatre cinéastes facétieux et idéalistes, sillonnent dans un van les routes du Soudan pour projeter des films en évitant la censure du pouvoir. Ces quatre amis seniors de toujours se mettent à rêver d’organiser une grande projection publique dans la capitale Khartoum et de rénover une salle de cinéma à l’abandon. Son nom ? La Révolution. « Ce documentaire raconte la disparition de la culture et de l’histoire du Soudan gangréné par les guerres et l’islamisme. Ce pays régi par une dictature est à l’arrêt et a du mal à se raviver, notamment à cause des islamistes au pouvoir. Le “Sudanese Film Group”. Tel est le nom de ces seniors qui luttent au quotidien pour la survie du cinéma qui n’est pas forcément divertissant ou attachant à voir mais représente un combat mené de bout en bout pour le maintien d’une salle de cinéma. Un groupe d’artistes qui refusent que des films soient vus ailleurs plutôt que dans leur pays.